Sur l’œuvre de Vivian Maier.
Une après-midi au zoo de Central Park.
Un homme, un enfant, un chapeau, un ballon de baudruche,
L’enfant, poupée en manteau de laine et culotte couche,
Le visage de l’homme noir caché par le ballon blanc,
Tous les deux assis sur un banc.
*
Des femmes aux jambes gainées dans des collants rosés,
Les pieds enfermés dans des chaussures coquettes,
Déroulant sur le trottoir leurs pas légers,
Sac à mains pendant sous leurs manchettes,
Traversent la ville le long des vitrines miroitantes de la 5e Avenue.
*
Les citadins de New York lisent les journaux,
Dépliés, actuels, les quotidiens offrent leurs informations aux yeux de la rue,
Kidnaper calls dad : “baby alive”.
*
Accepteriez-vous de poser ?
Sur les visages, les regards sont tour à tour tristes, complices, courroucés,
Résignés, fuyants, étonnés ou sages,
Prisonniers parfois, comme celui-ci, regardez !, celui de cette dame derrière sa voilette en grillage.
*
Vivian Maier apparaît,
Avec ce nez, Ô ce nez, mais quel nez !
Mutin, retroussé, narines en V inversé, quasi ostentatoire,
Petite montagne aux deux grottes noires,
Pointe vers le haut, fier, il s’étire.
Dans les cheveux, la raie est de côté,
La femme est bien mise,
L’ombre coiffée d’un chapeau, sur le sol, s’étire.
*
Les passants traînent leur sac, leur parapluie, leurs pensées,
Deux hommes en cravate échangent des idées,
La bourgeoise appelle,
L’autorité s’amuse ;
L’immigrée interpelle,
L’autorité récuse.
*
Le regard se pose sur d’autres regardant le ballet ;
Des vieux inspectent un tuyau enroulé ;
Un gosse grimpe sur un carton,
Il pourrait en faire sa maison.
*
Les escarpins à talon des élégantes
Foulent le bitume, pieds sanglés, chevilles apparentes.
L’une d’elle parfait son maquillage.
Chercherait-elle à cacher les signes de l’âge ?
*
Les mains de la mère serrent celles des enfants,
Les voitures vont vite, attention en traversant !
Le bras de l’amoureux enlace la femme désirée.
Les marins partent en permission retrouver leur fiancée.
*
La France, Champsaur, la haute vallée,
Avec ses champs quadrillés par les haies,
Loin de l’effervescence urbaine,
Un homme travaille à la fontaine,
Près de la propriété de Beauregard,
Franchement, y a pas de hasard.
*
Les lampadaires font briller la ville qui grelotte sous la neige.
Avec leur long capot grège,
Circulent les autos,
Retour à Chicago.
Un bus passe.
Les mains effleurent les oreilles,
“One way”, “Bus stop”, “space heroes”
Ça klaxonne à côté.
*
Sur le trottoir, ceux-là vont quelque part ;
Un autre s’endort au milieu du tintamarre ;
Celui-ci sur un seuil est assis, la rue est son chez-lui.
Il a les doigts sales, ses vêtements sont élimés.
Sans titre, sans lieu, sans date.
Les femmes distinguées ont les doigts gantés.
*
Des enfants crient, pleurent,
Crotte de nez, jupe plissée,
Enfance malheureuse.
Jeux de cache-cache, pieds nus,
Enfance libre.
*
Le visible et l’invisible.
Les images sont muettes, les lèvres bâillantes, les bouches silencieuses,
Des mots sur un mur crient la révolte des bas-fonds.
*
Des journaux brûlés, ajournés,
Carter claims presidency
Dans une poubelle ajourée.
*
Des lanières, des trous, des formes géométriques,
Des ombres derrière les barreaux métalliques,
Des vitres, des briques,
Le même ou l’identique.
*
La lumière entre les stores,
Un œil, des doigts, une poignée,
La plage derrière la ganivelle,
Des fenêtres, des portes,
Le dehors vu du dedans,
Des lignes de fuite, vers l’horizon,
Au loin, vers le ciel, vers la mer,
Sortir de la ville, de son bruissement incessant,
Revenir au silence des choses.
*
Des fragments, une tresse.
Des mannequins derrière une vitrine, leurs seins de plastique,
Une tête sur une chaise,
La vie disparaît, retour à l’inanimé.
*
Le journal dans le caniveau.
Dans la rigole, le Général Cordero.
*
Gants jetés,
Boîte de conserve rouillée,
Chaussures abandonnées,
Décombres,
Accumulat,
Verre, bouteille,
Le plein et le vide.
Cent-cinquante-mille. Négatifs.