Mardi 1er avril 2025 à 18h
Par Christophe Scudéri
Alors que l’hiver peine à s’éteindre et le printemps à prendre ses quartiers, à l’heure où la journée s’épuise et que la soirée s’annonce, Kristina Ifwarson vient nous parler de son premier roman, entourée de livres et de jeux, entre moquette au sol et fenêtre sur le jardin. La rencontre se déroulant au sein d’une bibliothèque associative, c’est sous le chapeau de la lecture qu’elle se tient. Cinq temps comme autant de scènes structurent l’interview. À chaque fois le même rituel : la lecture d’un fragment par l’oratrice, puis les questions posées par l’interviewer, enfin les réponses de l’autrice. Après une biographie rapide qui rappelle le caractère métisse de Kristina Ifwarson, on entre dans le vif du sujet. Une remarque préalable toutefois : comme l’indique l’argumentaire qui a circulé en guise d’annonce, l’objectif est de montrer en quoi « Les Choses muettes » raconte le temps présent. Le programme a-t-il été tenu ? Voyons plutôt.
La première scène proposée démarre quasiment le livre. Elle se déroule dans une discothèque où, assise sur un canapé, Selma, le personnage principal, observe la jeunesse suédoise. Que montre cette scène ? Elle montre, nous dit l’autrice, une jeunesse « zombie », acéphale et repliée sur soi, qui préfère se nourrir au flux continu du sein capitaliste que de se risquer à la rencontre amoureuse, à la rencontre de l’Autre et de l’étranger. Tout en faisant partie de cette jeunesse, Selma s’en distingue par son rapport au tragique et aux drames du XXème siècle qui, en la connectant aux fantômes du passé, la décalent du présent.
Alors que la première scène nous projetait dans une discothèque, la deuxième nous immerge dans « la soirée entre amis » où Selma retrouve Erik dans un passage qui ressort de « la première rencontre amoureuse ». Voulant réinscrire ce motif dans l’époque, Kristina Ifwarson explique comment elle l’a pensé selon les termes du moment, ceux de la domination, mais en y introduisant l’ironie nécessaire pour s’en extraire et ainsi ouvrir à d’autres coordonnées relationnelles.
Avec la troisième scène, on passe du couple à l’amitié avec l’entrée tonitruante de Lilie, l’amie d’enfance de Selma. Comme elle l’expose à l’auditoire attentif, l’autrice a cherché à décrire ce moment où une amitié qui s’est forgée dans les affres de l’adolescence vient à faire l’épreuve de la métamorphose des protagonistes si bien que chacun doit aller à la rencontre de l’étranger que l’autre est devenu (en partie) pour lui.
L’étranger est justement l’un des thèmes de la scène suivante où l’on voit Selma et Lilie croiser une mendiante dont elles ont peine à comprendre les paroles. Prolongeant les commentaires de l’interviewer, Kristina Ifwarson dévoile le choix qu’elle a fait de présenter sa terre maternelle au lecteur, d’une part, en le plongeant dans le corps de la Suède afin qu’il en fasse une expérience sensorielle et, d’autre part, en le confrontant à l’intraduisible d’une langue qui rend à tout lecteur français la Suède définitivement impénétrable.
Si les quatre premières scènes portaient sur des personnages, la Suède en étant un à part entière, la quatrième concerne un endroit crucial dans le parcours de Selma, la maison familiale. À la question sur la façon si particulière dont elle traite les lieux et les objets, Kristina Ifwarson répond qu’elle a voulu qu’ils soient chargés de vie, si bien que même si la maison est inhabitée elle ne ressemble en rien à un musée mais incarne au contraire la vie toujours et encore maintenue.
Enfin, on ne pouvait pas conclure sans évoquer Olle qui, alors qu’il se présente d’abord dans un récit parallèle à l’histoire principale, va se révéler au fil des pages en lien étroit avec Selma. Sans trop dévoiler les secrets du roman, l’autrice explique comment elle a organisé ces scènes depuis le regard d’Olle, là où celles de Selma sont décrites depuis un regard extérieur, et comme des scènes où, le passé se superposant au présent, vient à se confondre la mémoire avec l’histoire.
S’en suit un débat avec le public à la fois enthousiaste et riche.
Après quelques dédicaces, il est l’heure pour chacun de rejoindre son foyer, avec ce sentiment d’avoir assisté à un moment privilégié.






